Le Silence de Grammont - pâleurs

Publié le par La Revue Anima

suite du 4 décembre 2007

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Le fil de sa rive aboutissait là, sur une haie bien close. Par le coteau il trébucha sur des éboulis, jusque dans un profond compost.

 

Alors il se retrouva au bord du gué à tirer ses chaussettes, s’appliquer à suivre ses pieds au travers du fil de l’eau, à garder l’ équilibre sur le fond inconnu.

 

De l’autre côté on avait bivouaqué quelques heures plus tôt. Ce n’était presque pas le papier gras, mais un large foyer, qui centrait la clairière dominant le chemin.

 

En reprenant la marche on voyait la vallée peu à peu s’élargir, ou plutôt les prés, qui submergeaient la rivière qu’on entendait plus.

Le chemin s’était blotti sur l’ubac, et sous l’éclat du soleil on aurait dit, en face, un vaste cirque, tout sommé de forêts. Plus loin il se déversait dans un autre cingle ; son reflet venait comme d’une enfilade de miroirs, un halo, des éclaboussures d’au-dessus d’une chute.

 

De tout ceci sourdait une grande solitude. Pourtant les herbages n’étaient pas montés en graine ; les barbelés avaient gardé leur métal ardent. Ce fut même ce qui retint Régis d’en sauter le filet, de tracer à sa guise. Les parcelles se succédaient à distances régulières ; les clôtures comme des sauts d’obstacles.

 

Il longea une cabane et son étang envasé, grimpa le long d’un bief qu’il suivit jusqu’à son moulin. L’arbre gisait là, comme s’il avait lui-même frappé la bâtisse.

Puis la rivière revint serrer le chemin contre son versant ardu. Ce n’était plus qu’un fouillis de saules, de trembles, qui recouvrait tout. Puis deux rangs malingres de peupliers, dont les files peu à peu s’écartèrent pour former contre toute attente une vaste salle diaphane, d’où montaient de rares fûts décoiffés, ou de guingois, arrêtés dans leur chute, accrochés aux parois compliquées de la voûte.

Ses tons gris, vert pâle, en miroitant faisaient bruire un gigantesque moucharabieh d’un lent glissement de sable fin. Dehors, le cours des prés se devinait encore, et derrière eux, les contreforts lactés d’où une clarté parvenait comme un courant d’air.

Pour la première fois on pouvait quitter le sentier qui s’enfonçait dans de hautes herbes, et au fond de la salle verte se lisait une rampe d’accès, accrochée au long de l’abrupt jusqu’à une tribune, une large scène dont rien ne permettait de suivre le jeu. L’appareillage de la rampe rappelait les petites constructions gothiques de craie et silex, avec des trumeaux sur les piles et quelques ogives étroites.

Il voulut admirer de là-haut la salle de verdure. Mais à peine avait-il gravi la calade moussue qu’il fut attiré plus loin par les ruines d’un pignon aigu et quelques arches squelettiques autour desquelles courraient l’églantine et le néflier.

Ce fut de là qu’il perçut des jappements montant depuis la vallée. Il vint au bord de l’esplanade ; en bas, trois chiens allaient, venaient. On les entendait haleter dans leur jeu, changer brusquement de direction. Ils paraissaient faire une partie de quelque chose dont on ignorait l’enjeu et les règles.

Un sifflet bref les fit refluer aussitôt. Régis resta accoudé au parapet puis, sans voir de maître surgir, redescendit.

Ce soudain accès de vie lui faisait imaginer un hameau, une route à proximité. La salle verte en perdit beaucoup de son ampleur.

Il reprit le sentier.

A peine sorti des trembles, il ne restait plus qu’une dizaine de mètres entre le lierre suspendu à la corniche et les premières orties du bord de l’eau.

Une passerelle aux poutrelles rouillées surgît des hautes herbes ; son plancher pourri tombait dans la Risule. C’était ça, l’accès au plateau qu’il avait craint ? Les jappements avaient disparu ; pourtant les chiens ne devaient pas être bien loin devant lui. Il poursuivit.

 

La base de la falaise était maintenant jonchée d’éboulis, de petits graviers clairs, qui masquaient des galeries presque rebouchées. Au fil des pluies les marnes s’étaient soudées aux gravats, et l’herbe piétinée laissait voir un sol glissant et dur. Derrière l’antre une galerie sombre, sans idée des parois ni du parcours.

Là non plus Régis n’insista pas. Il lui fallait connaître les mensurations de son aventure ; il avait hâte d’apercevoir la ferme de François et de rebrousser chemin ; évaluer à leur juste place tous les jalons de sa découverte.

La vallée de nouveau se courbait autour du sillon que faisait la rivière, qui venait maintenant lécher la falaise en un vaste tournebride. Sur près d’un kilomètre devant soi, on devinait le chemin découper la nuance des lointains.

Il eut tout le temps d’y voir approcher la silhouette ; une taille extraordinaire, qui lui donna l’idée d’un cavalier sur sa monture. Ils avançaient là, paisiblement.

Tôt ou tard il allait se trouver à sa hauteur.

En détaillant son profil Régis devina une ligne mince, des cheveux tirés en arrière, une longue natte. C’était un port altier. C’était une jeune femme.

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Arnaud Dhermy


 
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