Bréviaire des bévues

Publié le par La Revue Anima

Il y a celui qu’on appelle inlassablement et qui ne peut jamais venir.
Celui qui téléphone trop souvent pour qu’on le désire.
 

Celui qui vous démange à force de ne pas vouloir déranger.

 
Celui qui vous tape dans le dos la deuxième fois que vous le voyez.
Celui à qui vous avez toutes les peines du monde d’avouer votre admiration.
 
Celui qui vous répète chaque fois la même chose, même au bout de dix ans.
Celui qui a tellement peur de s’ennuyer avec vous qu’il apporte son ordinateur.
 
Il y a celui qui vous voit arriver de loin et fait semblant de vous reconnaître, au dernier moment.
Celui qui, même en prévoyant quarante minutes de battement, n’est pas à l’heure et le sera le seul jour où vous aurez oublié de venir.
 
Celui qui, ayant quelque chose à prouver, marche plus vite que vous, à un mètre devant.
Celui qui parle des librairies, de « culture », de « France », et qui ignore l’existence d’Alceste.
 
Il y celui qui, en train, fait de tous les voyageurs du wagon vos compagnons de conversation.
Celui qui commente à haute voix la difformité d’un voisin de table.
 
Celui qui emploie l’adjectif « sociétal ».
Celui qui est tellement heureux de vous revoir qu’il vous embrasse, vous raconte tout et ne vous pose pas une seule question.
 
Celui qui appelle deux heures le dimanche matin parce qu’il a un forfait gratuit.
Qui embrasse bruyamment sa petite amie dans votre salon.
 
Tous ceux qui, de passage ou de fortune, vous confirment dans l’idée que deux bonnes volontés ne suffisent pas.
Il y faut encore le destin, le hasard, la grâce. Une certaine délicatesse involontaire. Des gestes plus rapides que notre surveillance.
Combien l’amitié se renforce-t-elle d’être confirmée par ces forces qui nous dépassent !
Un nez à nez impromptu qui s’avère une merveilleuse retrouvaille, une lecture commune à des centaines de kilomètres de distance, une même frayeur enfantine découverte des années après. Ces sinueuses coïncidences remettent d’aplomb les cœurs chancelants.
Quand elles manquent, c’est le destin, croit-on, qui ne veut pas de ce compagnonnage. Rien n’y fait, on ne supplée pas à l’absence de vent dans les voiles. Une amitié ne se rame pas.
Et pourtant ! Que d’occasions où, le souffle faisant défaut, il fallait être là. Que de mesquineries qu’il était bon de passer sous silence. Ces moments moins drôles, moins légers, où la volonté prend le relais de l’évidence, où l’affection devient belle d’être aussi voulue. C’est à cet instant où l’on pèse que l’ami vole à votre secours, vous donne des ailes. Ce qu’il peut alors faire est miraculeux, il vous restitue le droit d’exister. Demeure votre allié au moment où vous déméritez. Reste uni à vous jusque dans le malentendu qui se dessine pour les autres.
 
Il garantit l’intimité respectueuse, même quand vous vous trompez lourdement, quitte à vous tancer en face-à-face cinq minutes après. C’est toute la différence. L’amitié ne se trompe pas d’ennemi : c’est en face, au rebond des forces en présence, que se reconnaît une vérité, reçue et non assénée.
Le partage grandit de n’être pas l’accusation permanente des limites. On commet la bévue, on est triplement heureux de la voir lavée par un regard souriant.
Quelqu’un vous dit : je t’accompagne jusque-là. Je ne te laisse pas en plan pour si peu.
Mais ! fais quand même un peu attention…
                                                                                          Christophe Langlois
 
Celui qui met les pieds sur la table et se sert dans le frigo.
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