Veux-je manquer à M. de Clèves ? Veux-je me manquer à moi-même ?

Publié le par La Revue Anima

Rousselot-1848.JPGQuand je lis des pages imprimées et reliées, ou des pages électroniques sur un écran, quelle est mon attente ? La réponse ne vient pas facilement. La question manque de précision. Il faudrait ajouter des noms d’enseignes, des marques. Par exemple, quand je lis un livre édité par Grasset ou quand je lis un article du Monde.fr, quelle est mon attente ? Mais là encore, la question est-elle suffisamment précise ? Pas sûr. Les a priori dont je dispose et qui m’aident à formuler des jugements ne me sont, en l’occurrence, que d’un secours médiocre. Quand je lis un article dans un quotidien, mon attente dépend du style auquel son rédacteur m’a habitué et plus couramment du thème. Tel journal réputé austère peut aussi me surprendre par sa légèreté. C’est son droit.


Et en littérature ? Une maison d’édition sérieuse a-t-elle le droit de me surprendre par sa nonchalance ? Doit-elle mélanger ses titres dans un vaste catalogue ou m’aider à faire le tri en discriminant, en proposant plusieurs collections ? Et pour les thèmes, doit-on estampiller ? Attention (non) littéraire.


Après tout, le critère majeur n’est-il pas mon goût ? « Le problème, c'est qu'il n'existe plus de hiérarchie des valeurs littéraires, mais une espèce d'aplatissement général où l'on voudrait, par une perversion de l'idée démocratique, que tout se vaille!"(1)
En effet, certains jours, les romans les moins exigeants valent infiniment mieux que tous les classiques du monde. D’autres jours c’est l’inverse. Force de l’écrit : on y trouve tout et son contraire. Force de la littérature : elle échappe à mes critères et à ceux des écrivains qui la font. Force de l’édition littéraire : elle produit sans cesse les œuvres de nouveaux auteurs, elle écrase ou ressuscite. Parfois elle se nourrit de sa propre chair…


On peut aussi écrire des livres hors de la littérature. Ces livres sont bien ou mal écrits, comme les livres littéraires.


Autre possibilité. On peut avoir été consacré jeune par la publication d’un texte dans une collection, chez un éditeur dont le catalogue est littéraire. On peut continuer de publier chez cet éditeur, dans ce catalogue et, au milieu d’auteurs scandalisés, recourir à des procédés qui tournent le dos au littéraire. « Or tout ne se vaut pas et la langue est bel et bien en danger. Bientôt, ce sera tellement plus efficace d'écrire en anglais! C'est ce qui me gêne chez vous, l'usage des anglicismes, de l'argot branché, de jeux de mots dignes de Libération ou des Inrockuptibles, bref, de la sous-culture."(2)


Je ne sais plus où j’ai lu – en dépouillant la presse littéraire des années 1830 qui s’acharnait contre les romantiques ou peut-être dans une étude sur les latinismes de Du Bellay, à moins que ce ne soit dans quelque chose sur l’œuvre de Catulle Mendès – des propos similaires.


Tout à coup, il m’est devenu indifférent de ne pas être littéraire.

 

Thomas Mercier

 

 

 

Richard Millet, Désenchantement de la littérature [2007], 72 p. Hors série Connaissance, Gallimard -ess. 5,50 €

Frédéric Beigbeder, Dernier inventaire avant liquidation, 240 p. Collection 
Folio (No 3823) (2003), Gallimard -ess. 5,30 €

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(1) L'Express du 23/05/2005, entretien Richard Millet/Frédéric Beigbeder.

(2) Idem.

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