L'Esprit en nous comme une énigme

Publié le par La Revue Anima

Méditation des Lectures du 1er Avent

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Un ami me confiait récemment qu'il ne comprenait pas la période de l'Avent. S'il lui était parfaitement clair que le Carême représentait la montée vers Pâques, il voyait mal à quoi l'Avent nous préparait. 

Il est vrai que les deux fêtes peuvent s'éclairer l'une l'autre. Elles forment comme un diptyque de la liturgie annuelle. Ne pourrait-on dire que Pâques oriente vers l'au-delà - la promesse de la résurrection - et que Noël courbe vers l'ici-bas - la réalité de l'incarnation - ?

Pour ceux qui ont connu le bonheur d'une naissance, il est vrai que la fête de la Nativité se colore d'une lumière toute particulière. La délicate courbe des joues du nouveau-né, la chaleur de son poids, l'invraisemblable finesse des traits, tout nous parle en lui de la toute-puissance du Créateur. Vraiment, tout père qui a tenu son enfant contre lui le sait : nous n'aurions jamais pu créer cela nous-mêmes. Le nourrisson nous place devant ce qui nous dépasse. Son mutisme même introduit corporellement en nous le silence bienheureux qui rayonne derrière toute parole d'amour.

Enfin, comment ne pas voir qu'un enfant, à sa naissance, requiert de ses parents des comportements, des regards, des attentions qui ne faisaient justement pas partie de leurs habitudes, et qu'il y a là aussi une promesse de devenir... Par la suite, à travers les périodes plus agitées, les cris, les nuits blanches, comment ne pas sentir aussi qu'il nous est donné de tenir le cap ? Que ce ne sont pas seulement nos propres forces que nous mettons en jeu ? Envers et contre tout, nous agissons pour que cette vie familiale ressemble à quelque chose, nous parions que malgré le tumulte cette cohabitation avec l'enfant va prendre forme, que les gestes que nous ne savons pas faire vont nous venir...

Il serait bien long de prouver ici qu'il existe une promesse de l'incarnation tout aussi réelle, tout aussi joyeuse que la promesse de résurrection. Qui la rejoint en quelque sorte. Mais c'est bien l'idée. L'esquisse de Noël.

Or, quand l'évangile du 1er Avent nous parle de l'avènement du Christ, ce n'est pourtant pas du tout une joie de maternité et d'anniversaire qu'il nous décrit. A nouveau, cela sonne comme une provocation à nos oreilles. Noël ne serait pas uniquement la fête du tout-petit, du très-faible, du murmurant ? Apparemment pas !

La venue du Christ est comparée à trois fléaux : l'engloutissement du Déluge, la maladie mystérieuse qui s'abat sur quelques-uns, et pour finir en beauté ce répertoire de l'inattendu, le cambriolage. Qui n'a éprouvé, retour de vacances, ce doute soudain devant sa maison, se demandant si elle avait été visitée ? Qui n'a été témoin d'un cancer brutal, venu séparer les êtres : "l'un est pris, l'autre est laissé" ? Enfin, qui n'a songé à l'horreur que représente une catastrophe naturelle ou une explosion atomique survenant dans un pays où "les gens ne se sont doutés de rien" ?

Cet avènement du Christ n'est donc pas doux. Il n'est pas non plus glorieux. Mais alors, pourquoi invite-t-il les disciples à considérer sa propre venue à la lumière de ces catastrophes ? C'est une question que certaines homélies refusent pieusement de se poser. On a pu entendre ainsi un certain prêtre déclarer dimanche que ces paroles étaient mystérieuses, qu'elles nous maintenaient dans l'humilité, qu'il était bon de n'avoir pas réponse à tout, que seuls les intégristes avaient réponse à tout, que Dieu était transcendant.... Certes ! Mais le Christ ne nous convie-t-il pas à participer à sa transcendance, par la contemplation du mystère ? Le mystère n'est pas une formule pour baisser les bras, mais un au-delà pour les lever.

C'est donc que cet évangile veut nous dire quelque chose; qu'il ne se contente pas de nous raconter qu'il n'est pas bon d'essayer de comprendre, que nous n'y arriverons jamais, que Dieu est impossible avec ses devinettes, en quelque sorte ! Je ne peux m'empêcher de rêver aussi devant un certain intégrisme de la non-contemplation, placé sous le sceau de l'amabilité la plus chrétienne, la plus sociable, mais dirigé contre le silence, contre la solitude, contre la possibilité même d'une lumière intérieure... Oui, cette tendance existe, et il est si malaisé d'en parler sans courir à la désunion, que j'hésite à mettre des mots dessus. Et pourtant... il y a bien là tous les signes d'un évitement de la parole de Dieu.

Donc, reprenons : Noël, l'Avent, l'attente d'un avènement. Il y a rupture franche entre une naissance et ce qui nous est décrit là comme calamité. Disons-le : la venue du Christ est placée sous le sceau de la mort. Tout simplement. Pourquoi avoir peur de prononcer le mot ? Car au fond, je ne vois pas d'autre raison de s'être abstenu pendant dix minutes de sermon de nous parler du texte et pas d'autre chose. La mort, donc. La souffrance ? Non moins que la mort. Mais la surprise aussi, la mauvaise surprise de la mort. C'est tout à fait ça qui est décrit : "Deux hommes seront aux champs : l'un est pris, l'autre laissé. Deux femmes seront au moulin : l'une est prise, l'autre laissée." Et "A cette époque, avant le déluge, on mangeait, on buvait, on se mariait, jusqu'au jour où Noé entra dans l'arche. Les gens ne se sont doutés de rien, jusqu'au déluge qui les a tous engloutis."

Evidemment, ce n'est pas rose. Mais c'est la vie. Autour de nous, combien d'incidents comparables, combien de proches rappelés subitement à Dieu, combien de places laissées béantes au moulin et aux champs ? Et combien de ces fêtes insouciantes, de ces mariages où l'on trinque sans bien savoir ce que l'on fait ? Mais au fond là n'est pas la question. Nous ne pouvons porter en nous intacte et permanente la préoccupation de la mort. Nous ne mesurons pas assez à l'aune de cette mort ce que doit être notre vie, mais c'est tout à fait compréhensible. Il semble même impensable de conjuguer bonheur et conscience de notre condition mortelle.

A quoi sert alors cet évangile ? A nous faire peur, comme disent ceux qui n'aiment à voir dans la Bible qu'un instrument d'aliénation ? Sans doute pas à nous rassurer, si c'est cela qu'on veut entendre. Mais disons plutôt, à nous inquiéter. A nous faire sortir de la quiétude : "Frères, vous le savez : c'est le moment, l'heure est venue de sortir de votre sommeil." A nous faire considérer le temps présent comme l'enveloppe d'un temps ultérieur, celui de la lumière. Il me semble que cette mauvaise surprise de la mort, je l'envisage secrètement depuis toujours comme ce qui vient mettre en pleine lumière l'ensemble de ma vie. Plus rien ne sera caché. Tout ce qui a été dit, écrit, pensé, ressenti, vient à la connaissance. Se révèle. Et ce sera étonnant. Ce sera inconfortable aussi. Nous avons tant de choses à cacher ! Mais avoir peur d'un tel instant serait sans compter sur le regard de vérité et de miséricorde de Dieu sur nous. Il ne fait pas peser sa vérité : il l'offre.

Et sans doute le Christ ne dit-il jamais à ses disciples qu'ils seront prêts : "c'est à l'heure où vous n'y penserez pas que le Fils de l'homme viendra"...Il les exhorte à l'être. Mais le seront-ils ? Certainement pas ! Et nous pas plus qu'eux. Alors ? Sachant que jamais notre attention ne sera assez soutenue pour être prêts au moment où Il viendra, comment nous comporter ? que faire ? Ce serait déjà un miracle si, ayant lu l'Evangile, l'ayant écouté, nous étions prêts à ne pas être prêts. Si nous acceptions d'emblée d'être perpétuellement surpris, y compris par le malheur. Cela nous permettrait au moins de ne pas nous enfermer en lui. Comme nous le chantions à pleine voix en sortant de l'église :
"...Tu nous entraînes
A risquer notre oui aux imprévus de Dieu..."

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                                                     Christophe Langlois
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E
C'est fin et émouvant. De ces textes qui vous suivent tout le jour, remontant doucement à la surface de la conscience au gré des temps morts de la journée, dans ces petites éclosions tardives de sens, venant de ces mots et de ces harmonies que l'on n'avait pas entièrement saisies à la première lecture.<br /> Comme de minuscules bulles remontant du fond de l'eau avec une lenteur sinueuse, parfois bien plus tard qu'on ne l'attendait.<br /> Merci.
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L
C'est moi qui te remercie, Edouard, d'exprimer si délicatement les choses.