Sibelius. En revisitant ses symphonies

Publié le par La Revue Anima

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La torpeur arctique me l’a longtemps masqué.
En évoquant ses poèmes symphoniques – Les Océanides, La Tempête, Luonnotar – vient facilement à l’esprit les pellicules usées d’une expédition polaire, ou encore l’audacieuse solitude des vikings.
Mais Ainola, son havre, est dans les terres. A quarante kilomètres derrière Helsinki. Et la Mer baltique est fermée comme une Méditerranée.
Ainola est perdu dans d’immenses espaces boisés, criblés de lacs. D’ailleurs, là n’est pas l’important ; les musiques à programme ne sont pas du XXe siècle.
 
Alors, comment formuler cet étonnement qui vient en goûtant son œuvre énigmatique, embuée de nimbes automnaux, nimbée de buées printanières ; massive comme les stéatites de Finlande, les pierres réfractaires des poêles traditionnels ?
Pour celui qui aura eu la curiosité de voir à qui il ressemble, Sibelius aura fait une œuvre cérébrale. Un front de cachalot… une proue face au sel.
Mais cette tempête-là est bel et bien restée sous un crâne.
 
On lui compte sept symphonies, étalées sur vingt-cinq ans ; sept œuvres où peu à peu la forme et le rythme se libèrent et se dépouillent, comme l’homme sombre, perplexe de passer de l’illusion à l’ironie, et qui se cherche obstinément sous ses propres avatars.
Les deux premières, achevées en 1899 et 1902, sont encore marquées d’héritages, de fidélités, mais c’est avec la troisième, de 1906 - il a 41 ans, que les maniérismes glissent de leur porte-à-faux.
Vient alors l’intensité de la maturité : ses quatre autres symphonies (1911, 1919, 1923, 1924).
Elles n’ont pas de nom. Mais comme quatre filles hautaines, seulement aperçues de loin, je voudrais les baptiser pour moi seul. Voici d’abord l’Introvertie, ou bien la Rétive. Et puis la Superbe, ou la Dominante. Vient ensuite l’Intimiste, ou encore la Rêveuse. Et enfin la Résignée ou la Résolue.
En chacune les tensions intérieures s’épurent du formalisme et de l’emphase. Les mouvements se fondent ; les cycles se brouillent ; la ligne mélodique devient libre.
 
C’est bien là la musique de notre hôte intérieur, avec ses éclats, ses errances et ses rémissions ; ses rengaines aussi, sous le coup de l’illusion ou de l’épuisement, ses élans irrésistibles aussi ; ses cadences qui se pressent sous l’angoisse, puis redescendent pour reprendre encore, mais cette fois en vitalité, en enthousiasme. De temps à autre la tension se relâche et un air, une forme plus convenue, remonte du fond comme une épave. Enfin le pressentiment, l’angoisse se dissipent comme ils étaient venus, le cauchemar dégoûte, comme depuis un toit détrempé.
 
Comme les portes du château de Barbe-Bleue, le septième numéro qui compte parmi les dernières œuvres, ouvre sur une intimité, limpide et juste. Un mouvement unique s’élance sans appuyer ses thèmes, ramassé et cohérent ; l’homme n’a jamais été plus près de lui-même. Il jouxte même l’indicible, le surhumain. Une huitième tentative est en chantier, promise et remise sans cesse. Sibelius peine à prolonger, se désespère. La tension qu’il supporte le détourne de tous. Et puis Aino, son épouse, un jour le voit vider dans le feu le bac à linge qu’il a rempli de manuscrits. Il s’apaise ; il ne composera plus. Sibelius vient de passer à travers le silence - et pour vingt ans de vie encore - rejoignant jusque dans le chaos créatif, l’unique mot qui le dise tout entier et qu’il désespérait d’articuler.



Arnaud Dhermy



On trouvera plusieurs symphonies par Bernstein ou par Salonen sur Youtube. Si vous n’avez rien d’autre sous la main…
Leif Segerstam donne le 3e mouvement de la 4e symphonie : Il tempo large ; la flutte débute le thème, de sa dirilection :
 
Je ne résiste pas à citer Tapiola, l’un des plus beaux poèmes symphoniques de l’histoire, et aussi la dernière œuvre de Sibelius :
 
On pourrait aussi parler de En Saga, Barden, etc.. etc…
 
Quelques documentaires sur le compositeur (ce n’est pas du Murnau) :
 
 
Enfin ses funérailles en 1957 :

http://www.youtube.com/watch?v=d_mER-zTO5k

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